Dieu n'est pas bien

12 février 1986

 

Ce matin-là, qui était le matin du septième jour, Dieu ne se sentit pas très bien. Il faut dire que, les six premiers jours, il n'avait pas ménagé sa peine, créant coup sur coup la lumière, la terre, les mers, l'homme, les animaux, le ciel bleu, les étoiles jaunes, enfin tout ce bordel de Dieu qui nous entoure et sans lequel nous n'aurions jamais pu connaître l'arthrite du genou ni la bombe à neutrons.
Et donc, le septième jour, Dieu se sentit mou et s'en fut consulter l'interne de garde à l'Hôtel-Dieu.

-Comment allez-vous, mon Dieu ? s'enquit le docteur.
Et Dieu dit:
- Bof, comme un lundi.
- C'est fâcheux, dit le docteur. On est dimanche.
Mais que ressentez-vous précisément ?
Et Dieu dit :
-C'est difficile à dire. J'ai l'impression d'être creux et sans contours. Comme ballonné, mais sans la baudruche autour du rien. L'impression de ne pas être là et de ne pas êtreailleurs non plus... Pour être clair, docteur, je crois que je n'existe pas. Dans ma situation, vous comprendrez que c'est extrêmement pénible.
-Rassurez-vous, ce n'est qu'une sensation, affirma le docteur, qui était plus pieux qu'une cuisse de grenouille intégriste. Je vais tout de même vous examiner. Dites 33.
Et Dieu dit:
- On ne donne pas d'ordre à Dieu. On le prie.
- Je vous prie de dire 33, dit le docteur.
Et Dieu dit:
-33, 33, 33.
-Bien. Maintenant, faites Aaaa. Je vous prie de faire Aaaa.
Et Dieu dit:
- Aaaaaa.
- Vingt dieux s'exclama le docteur qui voyait grand.
Et Dieu dit:
- é a o eu ? é i a ?
- Eh bien, c'est incroyable. Vous avez la gorge si sombre que je n'y vois rien.
Et Dieu dit:
-C'est normal. Les voies du Seigneur sont impénétrables.
-Mais vous n'avez pas de moi profond ! Sans son moi profond, on ne peut pas vivre, reprit le docteur
- Quand je vous disais que je n'existe pas, c'est pas des conneries, dit Dieu.
-C'est égal, on est bien peu de chose, constata le docteur.
- On n'est même rien du tout, oui, dit Dieu. Ni moi ni vous puisque sans moi pour vous créer, vous l'avez dans le... néant.
- Ah nom de Dieu, dit le docteur.
- Je vous en prie, dit Dieu. Combien vous dois-je, docteur ?
-Je ne sais pas, moi. Donnez-moi ce que vous voulez... donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien.
- Comme d'habitude ?
- Comme d'habitude.
- Et deux baguettes bien cuites pour le docteur Freud, dit Dieu.

 

Quant au mois de mars, je le dis sans aucune arrière-pensée politique, ça m'étonnerait qu'il passe l'hiver.