De cheval
(7 avril 1986)
Un ami hypersensible m'est revenu des antipodes sens dessus
dessous.
Pour avoir assisté, dans la banlieue de Melbourne, aux finales
du championnat de lancement de nains sur matelas. Il dit que ce n'est
pas drôle, et de nombreux nains ne sont pas loin de partager
cet avis.
Il me semble en effet qu'il serait plus amusant de lancer des
jockeys. D'autant que ce serait une bonne action. J'en ai
parlé à mon cheval. Il opine. Les jockeys ne se doutent
pas à quel point les chevaux les détestent. En
réalité, les jockeys ne comprennent rien aux chevaux.
Je regardais l'autre jour sur Canal +, avec un certain
ébahissement, M. Yves Saint-Martin, qui n'est pourtant pas la
moitié d'un con, occupé à flagorner une jument
dans les allées cavalières de Chantilly.
- Oh, la grosse mémère. Oh, voui c'est la grosse
mémère. Elle est mimi la mémère,
minaudait-il en flattant l'encolure de l'ongulée.
Car les chevaux sont tous des ongulés. Mais ce n'est pas une
raison pour les prendre pour des cons.
M. Saint-Martin avait beau dire à la caméra, l'oeil
mouillé de tendresse, qu'il aimait les chevaux d'amour, la
jument n'y croyait pas du tout. Mon cheval re-opine.
- Pour quelle raison, dit-il, des animaux comme moi, que Dieu a
créés pour qu'ils broutent et baisent à l'aise
dans les hautes herbes, se prendraient-ils soudain d'affection pour
des petits nerveux exaltés qui leur grimpent dessus, les
cravachent et leur filent des coups de pied dans le bide dans le seul
but d'arriver les premiers au bout d'un chemin sans
pâquerettes, pour que les chômeurs puissent claquer leurs
ASSEDIC le dimanche ? En réalité (c'est toujours mon
cheval qui parle), les jockeys aiment les chevaux comme les
charcutiers aiment les cochons. C'est un amour
dénaturé, pervers, qui pousse le charcutier,
tronçonneur de gorets s'il en est, à signaler la
présence de sa boutique par un cochon en bois hilare ceint
d'un tablier blanc. Et c'est le même anthropomorphisme malsain
qui incite des publicitaires tordus à vendre des épices
par le biais du spectacle incroyable d'un boeuf complètement
taré et tout à fait ravi à l'idée qu'on
va le bouffer avec de la moutarde, mais pas avec Amora, parce que,
meugle-t-il : "Il n'y a que Maille qui m'aille." Et les chasseurs,
mon cher Pierre, qui affirment sans rire qu'ils chassent parce qu'ils
aiment la nature. Peut-on entendre propos plus consternant de sottise
dans la bouche d'un homme ?
- Tu as raison, Reviens, lui dis-je (car mon cheval s'appelle
Reviens, je le précise à l'intention des
éventuels bouchers hippophagiques qui auraient survécu
à la récente épidémie de piroplasmose).
Tu as raison, Reviens, mais plus dégénéré
que le chasseur, il y a. Il y a le pêcheur qui affirme que le
chasseur est un tueur sans pitié, alors que lui-même
accroche par la bouche et fait souffrir à mort des carpes
encore plus innocentes qu'immangeables. Ou le dompteur qui
déborde, pour les lions en cage, du même amour que Louis
XI réservait à La Balue.
- Y a des coups de sabots dans la gueule qui se perdent, soupira mon
cheval. L'autre nuit, ajouta-t-il en riant, j'ai fait un rêve
absolument charmant. C'était dans une arène, la vache
qui rit attrapait un matador par la peau du cul, le jetait par terre,
et lui piétinait les oreilles et la queue.
Je convins que c'était amusant.
- Allez, viens, Reviens, on va se promener, lui dis-je, appelle le
chien et les enfants.
Et nous voilà partis à grands pas dans les chemins
forestiers, tous derrière, et lui devant.
Quant à ces féroces soldats, je le dis, c'est pas pour cafter, n'empêche qu'y font rien qu'à mugir dans nos campagnes.